La pulpotomie rarement envisagée

La pulpotomie rarement envisagée

par le Dr Peter Raftery, Endodontiste, Hampshire Endodontics

Cet article et ses commentaires engagent exclusivement le Dr Peter Raftery

La TPV souffre-t-elle d’un problème d’image ?

Oui. Je pense que la thérapie pulpaire vitale (TPV) pour les dents permanentes souffre d’un problème d’image – au sens premier du terme.

Pour ce qui est des posts Instagram accrocheurs, les post-ops de pulpotomie BiodentineTM ne rivalisent tout simplement pas avec un delta apical rempli de scellant. Ainsi, si ce n’est dans un manuel, vous n’avez probablement pas eu l’occasion d’observer le moindre cas de pulpotomie depuis des années. Vous n’avez dès lors probablement pas conscience des nombreux bénéfices de cette option thérapeutique. En fait, dans sa publication de 2022 portant sur les indications de thérapie pulpaire, la British Endodontic Society (BES – la Société britannique d’Endodontie) suggère que cette procédure pourrait représenter « un changement de paradigme dans l’approche des maladies pulpaires ». (référence 1). Voilà qui attire l’attention.

Pulpotomie BiodentineTM – l’approche thérapeutique qui profite à tous

Lorsque des patients me sont adressés, ils se présentent à moi avec, en tête, le tarif du traitement du canal radiculaire. Si, au terme de la consultation, je suis en mesure de recommander une pulpotomie (que je facture aux deux tiers de l’honoraire total), les patients sont ravis de l’économie qu’ils peuvent réaliser. Mais ce n’est pas là le seul bénéfice qu’ils peuvent en tirer.

Nous savons tous qu’au terme d’un traitement de canal, une couronne est généralement posée sur les molaires. La plupart de mes travaux portent sur des molaires et donc, si le but est d’éviter un traitement de canal en ayant recours à la pulpotomie BiodentineTM, il semble que la couronne puisse raisonnablement être évitée, elle aussi. Pour l’avoir réalisée à plusieurs reprises, j’ai désormais suffisamment confiance dans la prévisibilité de la procédure. Je rassure donc les patients en leur disant que, dans le cas improbable où la pulpotomie ne fonctionnerait pas, je réaliserais le traitement radiculaire pour le tiers restant des honoraires. Les patients estiment ainsi qu’aucune pénalité financière ne les empêche d’essayer la pulpotomie.

Très vite, les patients commencent à apprécier l’idée d’une pulpotomie BiodentineTM. Toutefois, certains pourraient tout de même se demander si cette nouvelle pulpotomie est aussi « éprouvée » qu’un traitement de canal radiculaire complet et poser la question suivante : « Ne serait-il pas préférable de consacrer un peu plus de temps et d’argent en vue d’un résultat offrant davantage de garanties ? »

Oubliez les coiffages pulpaires Dycal que vous avez pratiqués à l’école de dentisterie ; les données actuelles montrent que les pulpotomies sont prévisibles, avec des taux de réussite élevés pour les pulpotomies sur des dents adultes présentant des signes et des symptômes révélateurs d’une pulpite irréversible. (référence 2) De plus, ces taux de réussite ne sont pas inférieurs à ceux des traitements endodontiques conventionnels plus invasifs et plus coûteux.  (référence 3)

L’opérateur a également de nombreuses raisons d’apprécier cette approche. La pulpotomie est un traitement techniquement moins exigeant que le traitement radiculaire complet, évitant la plupart des risques les plus notoires (par exemple, l’extrusion de l’irrigant) et prenant beaucoup moins de temps de consultation. La pulpotomie est, selon moi, le traitement le plus agréable à réaliser et, si l’on considère le barème d’honoraires mentionné, probablement le plus rentable aussi. Les pulpotomies constituent donc, de mon point de vue, une modalité de traitement qui profite à tous.

L’intérêt de la pulpotomie BiodentineTM

Autrefois, si la pulpe d’une dent permanente était exposée par des caries (ou par l’élimination de caries), un traitement du canal radiculaire était indiqué. Le coiffage pulpaire direct avec des matériaux comme le Dycal était aussi peu fiable qu’imprévisible.

Grâce au développement et à l’adoption de matériaux modernes au Royaume-Uni, tels que BiodentineTM en 2010, ainsi qu’à une meilleure compréhension de la biologie de la pulpe, la TPV des dents matures enflammées est désormais proche de la routine. Vu l’acceptation croissante des principes d’intervention minimale (IM) en dentisterie, je pense que tous les dentistes conservateurs devraient proposer des pulpotomies BiodentineTM.

Les patients en comprennent immédiatement l’intérêt. Ils comprennent instinctivement que si, par exemple, un patient diabétique développe des complications irréversibles au niveau du pied, les chirurgiens traiteront mieux le problème en amputant la cheville plutôt que la jambe entière. Par conséquent, si leur problème dentaire concerne une rage de dents ou une dent très cariée, mais vitale, ils comprendront la raison pour laquelle il faut retirer la partie non viable de la pulpe et conserver le tissu sain non affecté.

Pour citer la publication de la BES sur la pulpotomie :  « Le maintien de la vitalité de la pulpe préserve le système de défense circulatoire de la dent ; l’intégralité de la fonction proprioceptive de la dent est maintenue, et la dent sera moins affaiblie mécaniquement et donc moins sujette à la fracture. » (référence 1)

Sélection des cas

Les dents qui peuvent faire l’objet d’une pulpotomie sont les suivantes :

 

  • Dents vitales sans caries, mais présentant des symptômes de pulpite irréversible.
  • Dents vitales présentant des caries s’étendant à la pulpe avec ou sans symptômes de pulpite (réversible ou irréversible)

Les cas qui ne peuvent pas être pris en considération sont les suivants :

  • Caries ne s’étendant pas à la pulpe des dents, sans aucun symptôme ou présentant des symptômes de pulpite réversible. Ces dents doivent être restaurées de manière conventionnelle.
  • Dents non vitales et dents présentant des zones apicales de raréfaction. Ces pulpes sont mortes et l’espace pulpaire est infecté. En cas de pulpe nécrosée, il n’y a pas de tissu à préserver et le traitement du canal radiculaire (apex mature) ou la revascularisation (apex immature) sont les options endodontiques de choix.

La sélection des cas ne dépend pas entièrement de la catégorisation pulpite irréversible/réversible. Malgré les progrès réalisés dans la compréhension de la biologie pulpaire, l’histologie de la pulpe est encore mal corrélée avec les symptômes cliniques.

Si la corrélation entre les symptômes et l’état réel de la pulpe est faible, les patients doivent être avertis que « les règles du jeu peuvent être revues » au cours de la procédure de pulpotomie. Si aucun tissu pulpaire viable n’est trouvé de manière peropératoire, il n’y a rien à préserver et un nettoyage plus complet de l’espace pulpaire est nécessaire. Les patients doivent recevoir un devis (et les délais de rendez-vous doivent être respectés) pour une pulpotomie ou un traitement du canal radiculaire.

Pour que la pulpotomie proposée reste une option peropératoire, je précise : « Je dois voir une substance rouge à l’intérieur de la dent. » Je prends toujours soin de réaliser une image pour justifier l’exécution (substance rouge) ou l’absence d’exécution (absence de substance rouge et/ou odeur) de la thérapie pulpaire. C’est pourquoi je suis d’avis que l’imagerie intrabuccale est un outil médico-légal indispensable.

La Société européenne d’endodontologie (ESE) affirme que : « La couleur et l’intensité du saignement de la pulpe lors de l’exposition peropératoire peuvent constituer un marqueur de substitution de l’inflammation et de la capacité de récupération après le traitement. » (référence 4)

Seuls les anesthésiques injectables me donnent le sentiment d’avoir un espoir d’engourdir les pulpes enflammées. L’utilisation d’une digue en caoutchouc est nécessaire, la contamination bactérienne de l’espace pulpaire étant synonyme d’échec certain.  Une fois les caries éliminées, j’enlève la pulpe. L’utilisation d’une fraise diamantée est nécessaire pour enlever la pulpe vitale. Une pièce à main lente s’emmêlera et arrachera la pulpe que vous essayez de préserver.

L’extraction de pulpe est une compétence qui s’apprend sur le tas.  Un toucher léger (assorti d’une bonne vision) est nécessaire pour discerner la « consistance » de la pulpe et éviter de creuser la dentine de la chambre pulpaire. Une fois la pulpe coronaire extraite jusqu’au niveau de l’orifice, je réalise une photo pour le dossier. Je dois voir des cercles rouges (pas de pus, pas d’orifices vides, pas de pulpe hyperémique jaillissante).

Je nettoie la chambre pulpaire à l’aide d’un tampon de coton ou d’un petit morceau d’éponge imbibé d’hypochlorite de sodium. J’exerce une pression sur la pulpe coupée par l’intermédiaire du tampon pendant une minute. La pression permet d’arrêter le saignement d’un moignon pulpaire sain tandis que l’hypochlorite tue les bactéries et dissout en douceur toute pulpe nécrosée.

Lors du retrait, je dispose d’une pulpe propre, vitale et non saignante sur laquelle je vais appliquer de la BiodentineTM (pas de MTA). Dans ses Pulp Therapy Evidence Guidelines de 2022, la BES décrit BiodentineTM comme le meilleur matériau pour la thérapie pulpaire. L’hydroxyde de calcium induit une réponse pulpaire moins bonne et moins prévisible et l’oxyde de bismuth contenu dans le MTA décolore les dents de manière irréversible. (référence 1)

La procédure de Septodont me permet de remplir toute la cavité avec une seule capsule de BiodentineTM (procédure Bio Bulk-Fill). Septodont conseille d’utiliser BiodentineTM comme matériau de restauration de l’émail pendant une durée maximale de six mois. Je ne vois aucun argument en faveur d’une radiographie post-pulpotomie.

Gestion postopératoire 

Après avoir manipulé les tissus densément innervés, je prescris au patient deux jours de stéroïdes oraux comme anti-inflammatoire puissant. Après six mois, je réexamine le cas. Pour déterminer le succès d’un point de vue clinique, je me base sur l’absence de gonflement ou de drainage des sinus. Sur le plan radiographique, j’exige l’absence de raréfaction apicale.  En cas de réussite du traitement, je demande au dentiste généraliste de refaire la surface en BiodentineTM, idéalement en coupant les 2 mm extérieurs de BiodentineTM et en coulant quelque chose de plus résistant et esthétiquement adapté par-dessus. Je peux admettre qu’un moulage (couronnes ou onlays) soit nécessaire dans certains cas, malgré une pulpotomie réussie.

Les échecs sont rares et se caractérisent par des signes cliniques et/ou radiographiques d’infection.  Je considère également comme des échecs les très rares cas où il est impossible, pour le patient, d’arriver au terme du délai de six mois étant donné l’aggravation des symptômes de la douleur.

Les dentistes s’interrogent souvent sur la manière de réaliser une obturation radiculaire après tassement de BiodentineTM. Ayant réalisé quelques pulpotomies en vue d’une obturation radiculaire, je peux affirmer qu’il n’est pas aussi difficile qu’on pourrait le penser de distinguer visuellement la dentine blanche BiodentineTM de la dentine jaune lors du forage. Il n’est pas non plus difficile de faire la distinction entre les deux d’un point de vue tactile lorsque l’on fore avec une fraise pour chambre pulpaire.

Conclusion

Les pulpotomies seront bientôt monnaie courante. Dans mon cabinet d’endodontie, les patients les plus mécontents que je reçois sont ceux qui ont passé un horrible week-end/jour férié après une « obturation profonde » chez leur dentiste (par exemple un amalgame profond ou un composite dans une cavité profonde proche de la pulpe).  Je dirais que placer une obturation profonde dans une molaire cariée et espérer que tout ira bien, c’est s’exposer à des problèmes (et à des plaintes). Je pense qu’en étant un peu plus proactif avec les caries profondes, en excisant la pulpe enflammée et en plaçant une restauration BiodentineTM sur une pulpe non enflammée, il est littéralement possible de « prendre le mal à la racine ».

(*). Biodentine est commercialisé par le laboratoire Septodont (58 r Pont de Créteil, 94100 Saint-Maur-des-Fossés – France)

Références

  1. Société britannique d’Endodontie (BES – British Endodontic Society) https://britishendodonticsociety.org.uk/_userfiles/pages/files/a4_bes_guidelines_2022_hyperlinked_final.pdf
  2. Asgary & Eghbal 2013, Asgary et al. 2015, 2017, 2018, Galani et al. 2017, Linsuwanont et al
  3. Ng Y-L, Mann V, Rahbaran S, Lewsey J, Gulabivala K. Outcome of primary root canal treatment: systematic review of the literature – Part 1. Effects of study characteristics on probability of success. International Endodontic Journal, 40, 921–939, 2007.
  4. European Society of Endodontology (ESE) https://britishendodonticsociety.org.uk/_userfiles/pages/files/duncan_et_al2019international_endodontic_journal.pdf